L'humeur profonde des lieux
C’est cela le printemps : une trouée dans l’hiver, un passage, un chemin qui s’ouvre entre deux murs de neige, et qui va dans la nuit
C’est cela un col : un passage comme une frontière, une voie où tous s’engouffrent pour voir l’autre côté, l’autre vallée, l’autre pays
La vallée restée inaccessible tout un hiver très long, et plus que l’hiver. Un hiver long froid et blanc – Toute une vie
Avec le soleil qui passe en accéléré d’un versant à l’autre, qui joue avec la montagne, avec la neige, avec les gens qui grelottent, qui rêvent de l’autre pays, le paradis, où tout ira bien. Le pays du rêve possible.
Alors un matin, ça y est. On le sait, personne ne nous l’a dit, mais on le sait.
Les grosses machines sont prêtes, le chasse-neige, le Bulldozer et les hommes
Et le soleil, prêt, et la neige, prête. Prête à se laisser pourfendre, écarter, briser. Juste assez molle pour la lame et juste assez dure pour tenir debout.
Alors les grosses machines attaquent, traversent, disparaissent au fond des murs avec un panache de neige-vapeur.
Les grosses machines tranchent de belles parts de meringue, bien propres, bien lisses.
Et au fond des murs, il y a un chemin que les hommes empruntent à pied,
Petites ombres noires dans l’immensité blanche.
Et ils marchent et ils sont heureux, parce que derrière le mur il y a le printemps, l’autre vallée, l’autre pays. Le paradis.
Si personne ne les en empêche, si personne ne les repousse, comme la neige sur la lame. Si le froid...
Petits hommes noirs dans l’immensité blanche
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Merci à Christiane Deligny pour ces ateliers d'écriture