Un été 1930 dans le col du Lautaret
De gauche à droite : la Chenard-Walker, Suzanne ma grand-mère, tante Simone, Jacques mon père, oncle André, la nappe à carreau, la vache.
Ils sont venus de Beauval dans la Somme, pour des vacances chez les cousins d'Annemasse.
Pour arriver jusqu'au sommet du col du Lautaret où ils ont déjeuné, il a fallu que tout le monde descende et marche à côté de la Chenard-Walker qui fumait un peu...
On a dressé la table, le photographe a installé son trépied de bois et son appareil photo, il a dit à oncle André en faisant un geste de la main "pousse-toi un peu, la vache te cache ! " tout le monde a ri à ce bon mot...au bruit qu'a fait le déclenchement, la vache a levé la tête et tout le monde a disparu...
D'ailleurs tout le monde a disparu...
Celui qui prend la photo, c'est Jean mon grand-père.
Celui qui pleurait quand il parlait du fleuve furieux de la guerre
Celui qui monta dans un train avec les autres pour un éloignement de son histoire
Celui qui refusa les ordres d'un chef-con et choisit la frontière de la découverte
Celui qui tomba, se releva, rêvant de cascades aériennes dans la boue
Celui qui chercha des traces du sanglier sur la neige
Le suivit sur la plaine, le perdit sous la rivière,
Celui qui crut à des espaces traversés à vélo
Sur des sentiers brodés d'Ysope et de Xanthorie
Celui qui savait que la cacarde du geai
Annonçait la harde et la suivait de branche en branche
Celui qui accompagnait le vol des oiseaux dans le grand ciel,
Celui qui chercha toujours la source sous les branches,
Dans les idées, à l'orée des forêts, derrière les cimes,
Celui qui partit, qui revint
Qui vécut en sursis le reste de sa vie
Celui qui parlait de la boue, des rats, et de l'odeur du sang
Celui qui m'apprit les arbres, les rois, les révolutions et les mots
Les oiseaux de passage, les fleurs et les livres, la haine de la guerre.
Pour ne pas mourir...